Aux origines de DÉRACINÉ – Un tirailleur en fuite

14/04/2025
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Thibault Rougès vous parle de sa première œuvre, qui retrace un épisode méconnu de la Première Guerre Mondiale : l'histoire de Beckadou, un tirailleur sénégalais bien loin de chez lui.
Thibault Rougès au travail

Thibault et Ludovic, son éditeur.

 

 

familiaR Éditions : Peux-tu nous raconter l’histoire de Déraciné – Un tirailleur en fuite ?

Thibault Rougès : L’histoire de Déraciné est inspirée d’un fait réel. Elle met en scène Beckadou, un tirailleur sénégalais qui est arrivé sur le bassin d’Arcachon, au camp du Courneau, pour y passer l’hiver pendant la Première Guerre mondiale. Il est le seul à s’en être évadé et c’est de cette cavale que parle la BD.

Pourquoi avoir choisi ce personnage plus particulièrement ?

Pour moi, ce n’est pas juste l’histoire de cet homme-là, c’est l’histoire de tous les tirailleurs sénégalais. C’est-à-dire qu’on les déracine de chez eux, on les amène au front et on les fait se battre pour un pays qui n’est pas le leur, pour une cause qui n’est pas la leur. Finalement, qu’ils meurent sous les balles des Allemands ou sous les obus français, le résultat est le même. J’ai trouvé ça juste horrible et j’ai eu besoin de le raconter.

 

 

Comment as-tu découvert cette histoire ?

Pendant le premier confinement, comme beaucoup de gens, je me suis retrouvé un peu perdu chez moi, à ne pas savoir quoi faire. Je me suis dit : « Tiens, si tu te mettais vraiment à faire un projet de bande dessinée. ». Et une nuit, il était presque minuit, je me suis souvenu d’un paragraphe que j’avais lu dans un livre et je me suis dit que c’était ce qu’il faut que je fasse. Ce paragraphe parlait de la vie d’un tirailleur sénégalais qui était dans un camp sur le bassin d’Arcachon. Dans les premières années de la guerre, en 1916, les tirailleurs ont commencé à être éloignés du front l’hiver parce qu’ils ne supportaient pas les conditions climatiques. Et donc les tirailleurs sont arrivés ici, sur le bassin d’Arcachon. Ce que je raconte, c’est l’histoire du seul tirailleur qui se soit échappé du camp du Courneau. De cette histoire, j’en connais le début et j’en connais la fin. Tout ce qui est entre le moment où il s’évade et la fin, il a fallu que je l’invente parce que personne ne la connaît.

Nécropole nationale de la Teste de Buch

 

 

 

Mais comment t’es-tu senti connecté à ce récit, qui à priori est assez éloigné de toi ?

La première raison est que je suis issu d’une famille de coloniaux, c’est comme ça que ça s’appelle. Mon grand-père était officier dans un régiment de tirailleurs sénégalais. Il a habité pendant des années à Dakar, à Rufisque, à Saint-Louis. Il a fait la Seconde Guerre mondiale à la tête d’un régiment de tirailleurs. C’est quelque chose dont j’ai toujours entendu parler depuis que je suis gamin. L’autre raison est qu’habitant sur le bassin d’Arcachon avec mes parents, on passait souvent devant un monument dédié aux tirailleurs sénégalais étant passé par le camp du Courneau, où presque un millier de tirailleurs sont morts.

 

Tu as fait des choix éditoriaux assez forts, comme la quasi-absence de textes…

Le fait que ce soit quasiment muet, c’est parce que Beckadou est seul. Je ne voulais pas donner aux gens mon point de vue sur ce qu’il peut penser. Je voulais juste que les gens s’imaginent cette personne-là, dans cette situation-là, et que chacun puisse y mettre ce qu’il veut.  Et puis le fait de ne pas mettre beaucoup de texte, ça oblige à imager les choses par le dessin.

… ou le noir et blanc.

Pour moi, le noir et blanc s’imposait absolument, puisqu’en fait c’est vraiment ça : c’est la   lutte entre les blancs et les noirs.  Je trouvais que c’était plus fort de le faire comme ça. Ça permettait d’avoir beaucoup de contraste et quelque chose d’assez sombre dans la façon de présenter les choses.

Il parait que tu as aussi arrêté complètement de lire des BD depuis que tu as commencé le projet, pourquoi ?

J’ai essayé de raconter l’histoire comme j’avais envie de la raconter. Je ne lis quasiment plus de bande dessinée. C’est presque un vœu pieux. Je me suis dit stop : « Tant que tu n’as pas fini, tu n’en lis plus ». Et je n’ai pas souhaité lire de bandes dessinées qui traitent de ce sujet-là… des tirailleurs et de la Première Guerre mondiale. Je voulais garder mon œil à moi.